18/9/2025
On est passé des fusils aux CV glacés, du canon au carnet de chèques. Le colonialisme a troqué l’uniforme kaki pour le costard-cravate. Il ne conquiert plus des villages, il signe des conventions. Le décor a changé, mais la pièce est la même : on nous saigne à blanc, avec le sourire. Bienvenue en Guinée, ce pays qui crie souveraineté à l’ONU mais lègue ses mines comme on jette des os à des chiens. Quand la Guinée creuse, les étrangers commandent.
On nous martèle que la Guinée est un « scandale géologique ». Jolie formule. Mais elle ment. Le vrai scandale n’est pas sous nos pieds. Il est dans nos têtes. Dans ce ventre mou qui fait plier l’État. Un pays assis sur l’or et le fer, mais qui marche pieds nus dans la boue de l’aumône. Ce n’est pas la terre qui nous trahit, c’est l’homme qui abdique.
Dans les tours de verre de Conakry, l’avenir de nos enfants se décide en mandarin, en russe, en arabe ou en anglais. Le Guinéen ? Bon pour le trou, la pelle, les applaudissements. Et quand il grogne, on lui balance la rengaine de la « compétence ». Traduction : vous êtes bons pour creuser, pas pour penser. Modernisée, aseptisée, mais toujours aussi amère.
On nous brandit deux, trois noms en étendard : Karifa Condé, Malick N’Diaye… un Sénégalais pour masquer le vide guinéen à la tête des mines. Des alibis, des trophées pour calmer la vindicte. Mais au sommet, le vrai pouvoir reste une affaire de dents longues et de passeports multiples. La façade est locale, les clés du coffre sont à Zurich, Beyrouth ou Paris.
Prenons Roda Fawaz. Libanais ? Français ? Belge ? Guinéen ? L’homme est une énigme post-nationale, un nomade de l’atlas fiscal. Peut-on diriger le ventre d’un pays quand on ne sait plus où son cœur bat ? Peut-on protéger ses trésors quand on ne sent pas la chaleur de sa patrie dans ses veines ? Loyauté ? À Bruxelles où l’on dort ? À Beyrouth où l’on déjeune ? Ou à Conakry où l’on signe les chèques ? La question n’est pas technique. Elle est viscérale.
Qu’on ne nous chante pas la complainte du « Libanais, pilier de l’économie ». Qu’ils tiennent boutique, soit. Mais les mines ? Non. Là , ce n’est plus du business. C’est de la souveraineté. Et la souveraineté, ça se crache, ça ne se mendie pas.
Pourtant, la loi est formelle. Le Code minier : après cinq ans, la direction aux nationaux. Dès le début, le PDG adjoint doit être un Guinéen. Ici, la loi ? Un chiffon de papier. Un décor pour amuser la galerie. L’État ? Caméléon hésitant. Il préfère quémander que sévir. Comme un propriétaire qui supplierait son locataire de ne pas saccager la maison. Nous transformons nos droits en suppliques. Nos richesses en dettes.
Alors, posons la question qui tue : la Guinée est-elle encore un pays ou juste un comptoir, un entrepôt à ciel ouvert sous perfusion étrangère ? Qu’ils viennent investir, oui. Mais pas régner. Qu’ils financent, pas qu’ils commandent. La direction de nos richesses doit revenir à des Guinéens. Entiers. À nationalité unique. Pas à ces spectres aux identités élastiques.
Regardons ailleurs ! La Bolivie a repris son gaz. Le Niger a mis les Français à la porte. Le Ghana transforme son or sur place. Même le Congo, dans son chaos, se débat. Et la Guinée, pays du « Non » de 1958, terre de Sékou Touré, qu’attend-elle pour dire non à cette mascarade, à cette danse des contrats qui nous dépouille ?
Et qu’on ne nous dise pas qu’il n’y a pas de compétence locale. L’histoire le crie. Kemoko Touré, Soulémane Traoré ont tenu les rênes de la CBG avec honneur et efficacité. Pas besoin de visa pour prouver leur savoir. Leur compétence parlait soussou, peul et malinké avant de baragouiner l’anglais. La preuve est faite. Le problème n’est pas l’incompétence. C’est la complaisance.
Au fond, ce n’est pas une question de compétence. C’est une question de fierté. De colonne vertébrale. Voulons-nous laisser à nos enfants des richesses ou des cicatrices ? Voulons-nous bâtir une nation ou rester les nègres de service dans le banquet des autres ? Chaque génération a son combat. Le nôtre : cesser de mordre la poussière sur notre propre sol.
Il est temps d’y aller, cash. Réviser les conventions, sans délai. Exiger des PDG guinéens, à nationalité unique, dans deux ans max. Un adjoint guinéen dès le premier jour. Point final. La souveraineté ne se négocie pas. Elle s’arrache. À coups de dents s’il le faut. Sinon, nous finirons par mendier l’aumône aux portes de nos propres mines.
La Guinée doit cesser d’être ce scandale géologique qui fait pitié. Elle doit devenir le modèle de la rage africaine qui se relève. Nos mines sont à nous. Leur direction aussi. Nos richesses, notre fierté. Point final.
Ousmane Boh KABA
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