29/9/2025
Il y a des vies qui ressemblent à un cahier d’écolier raturé. Des dates griffonnées, des titres recopiés, des discours rafistolés. Pas de ligne claire. Rien qu’une succession de zigzags, de virages pris au gré du vent. Ces hommes-là ont besoin de miroirs. Même fêlés, même sales. Ils s’y regardent comme d’autres s’éclairent aux flammes d’un incendie qu’ils ont eux-mêmes allumé.
Janvier 2007 : la rue grondait. Dans la bouche d’un jeune rédacteur en chef, une phrase éclatait, grave, presque crédible : « Le problème, ce n’est plus les syndicats, c’est le président Lansana Conté lui-même. Il doit partir. » On l’écouta. On le suivit. On le crut. On eut tort.
À peine les fusils calmés, les morts enterrés, les larmes séchées, le tribun des places publiques se transforma en pensionnaire de palais. Juin 2008 : ministre par décret. L’homme du peuple devenait l’homme du pouvoir.
Puis vint la junte du capitaine Dadis Camara. Indignation, encore. Les mots claquaient : « Illégitimité totale, Dadis doit partir ! » Mais le vent tourna, et lui aussi. Ministre encore. Conseiller toujours. Chez lui, la critique n’est pas une conviction : c’est un ticket d’entrée.
2010 : un nouveau pouvoir s’installe. Le pamphlet reprend ses droits. « Le régime d’Alpha Condé est tribal, corrompu, dangereux. » Les médias relaient. On croit qu’il est revenu à ses principes. Illusion.
2019 : il rallie ce même pouvoir. Conseiller spécial. Ministre d’État. Porte-parole. La boucle est bouclée : l’insulte d’hier devient la fonction d’aujourd’hui.
Toujours le même scénario : indignation dehors, servilité dedans. Chaque discours cache une ambition. Chaque rupture, une candidature. Chaque conviction, un pari. Son CV ? Une nécrologie de fidélités mortes-nées. Pas de ligne politique. Seulement des lignes de crédit.
Il a multiplié les parrains : Conté, Dadis, Konaté, Condé. Une famille recomposée au gré des putschs et des décrets. L’enfant adoptif de toutes les transitions.
Moi, je n’ai qu’un seul héritage. Il a cru m’atteindre en jetant Soriba Kaba à mon visage comme une injure. Erreur. Soriba n’était pas mon père biologique, mais il fut mon sang, ma fierté. La République l’honora au Palais du Peuple. Il fut la voix des sages de Kankan. Si ce nom est une boue, j’accepte cette boue comme une parure. La différence est là : certains changent de protecteurs comme de chemises. Moi, je garde un père et je dis : « Me voici. »
Lui, quand on lui rappelle ses zigzags, il s’emporte. Il mord. Il insulte. Réflexe des hommes nus devant leur vérité. Il croit frapper en jetant un nom. Il se trompe deux fois. D’abord parce que l’homme qu’il évoque n’est pas mon géniteur. Ensuite parce que ce nom, loin d’être une tache, est une lumière.
Aujourd’hui encore, il revient avec ses mots acides. Même rhétorique, mêmes grimaces. Il attaque le régime de Mamadi Doumbouya comme il attaquait les précédents. Mais ce n’est pas du courage. C’est un appel d’offres. Il crache sur la maison… juste assez fort pour qu’on lui entrouvre une fenêtre.
Et voilà qu’il nous sort sa dernière berceuse : « Partir, c’est mourir un peu ». On croirait presque une confession. Illusion. Chez lui, partir n’est jamais mourir. C’est hiberner. C’est attendre le clairon d’un décret. Chaque départ, une sieste. Chaque retour, une résurrection sponsorisée. Ce n’est pas le cœur qui se serre quand il quitte le pouvoir, c’est le portefeuille qui se vide.
Il nous parle de contrat moral ? Lui, l’un des scribes zélés du troisième mandat d’Alpha Condé, ce viol de la République ! Chez lui, la morale est un chewing-gum : on l’étire, on le mâche, on la recrache. Le contrat, c’est un cahier d’écolier, raturé à chaque transition. Pas d’idées. Pas de principes. Seulement des opportunités à flairer. Et quand elles se dessèchent, il parfume ses rengaines de citations américaines, comme on cache la pourriture sous du musc.
Il cite Obama mais marche comme Mugabe. Il chante les institutions mais ne respire qu’à l’ombre des salons feutrés. Sa providence n’est pas divine : elle est présidentielle. Et grassement monnayée.
Enfin, il conclut : « Le temps édifiera ! » Mais le temps n’a plus de patience. Trop d’édifices en carton se sont effondrés sous ses volte-face. L’Histoire, elle, n’écrit pas avec l’encre de l’opportunisme.
Hélas, il n’est pas seul. Des cohortes d’opportunistes peuplent ce pays. Toujours prêts à changer de camp pour quelques miettes de pouvoir. L’honnêteté, jadis valeur sacrée, s’est éteinte. La Guinée se contente de compromis, au prix de sa conscience. Mais la Guinée, comme toujours, sera sans pitié.
Tierno Monénembo me fend le cœur quand il taille Sékou Touré à vif. Mais j’ai pour lui un respect inaltérable. Non pas parce que je partage toutes ses idées. Mais parce qu’il est constant. Et la constance, dans ce pays de girouettes, n’a pas de prix.
Ousmane Boh Kaba
Un homme qui n’a pas besoin de se renier pour traverser le temps.
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