8/4/2025
Dans les années de plomb de l’économie guinéenne, le président Lansana Conté aimait sermonner les commerçants, notamment ceux qui profitaient d’exonérations fiscales sans jamais songer à répercuter cet avantage sur les prix des denrées de première nécessité. "Vous ne voulez pas du bonheur de la population", leur lançait-il. Une formule-choc, devenue célèbre, mais fondamentalement problématique. Car elle repose sur une équation fausse : celle qui attribue aux commerçants une mission morale dans un système où seule la logique du profit gouverne.
Or, cette rhétorique perdure. À chaque flambée des prix, le réflexe politique est le même : accuser les commerçants d'être insensibles, égoïstes, voire antipatriotes. Mais posons la question frontalement : est-ce aux commerçants de faire le bonheur du peuple ? Sont-ils élus pour garantir le pouvoir d’achat ? Ont-ils des ministères ? Une politique publique ? Une monnaie à gérer ?
La réponse est non, évidemment. Le commerçant cherche un bénéfice, c’est sa nature, sa fonction. C’est à l’État — et uniquement à l’État — qu’il revient de garantir l’accès équitable aux biens essentiels. Cela suppose des instruments clairs : contrôle rigoureux des prix, encadrement des marges, politiques de subvention ciblées, sanctions effectives. Cela suppose aussi de sortir du cercle vicieux de l'inflation alimentée par l'impression excessive de billets, comme c’est le cas avec les récentes coupures de 20 000 GNF, qui n’apportent que du papier là où il faudrait du pouvoir d’achat.
Mais qui pour mener une telle politique ? Qui, à la Primature, au ministère de l’Économie et des Finances ou à la Banque centrale, incarne aujourd’hui une vision rigoureuse, structurée, orientée vers les masses populaires ? Il ne suffit pas de théoriser sur les plateaux ou de se glorifier dans des rapports en PDF. Il faut du courage, de la méthode, et une stratégie au service du peuple.
C’est ici qu’on ne peut s’empêcher de penser à l’expertise de Kassory Fofana — ancien ministre de l’Économie, ancien Premier ministre — dont la compétence en matière de gestion macroéconomique est reconnue, y compris par ses adversaires. Mais voilà , l’homme est en prison. Et avec lui, une partie du savoir-faire technocratique du pays dort derrière les barreaux, inutilisable, comme une bibliothèque sous scellé.
Assez de faux procès contre les commerçants : leur métier, c’est le commerce, pas la charité. Le vrai procès doit se tenir ailleurs, du côté des décideurs publics. Car si l’État n’est plus capable de protéger son peuple contre les dérives du marché, alors à quoi sert-il ? Le populisme ne remplit pas les assiettes. La compétence, si.
Abou Maco |